Sorry

Je porte malgré moi une identité, les marques d’une culture, la trace d’un passé qui n’est pas le mien.

By Manon  |   From : Marseille  |   School : Collège Marie Laurencin

Je m’appelle Manon. J’ai seize ans et je suis collégienne. Je vis à Marseille depuis ma naissance en 2001 et je vais vous raconter mon histoire.

Je m’appelle Manon Khalfaoui, enfin presque. Sur ma carte d’identité, il est écrit Jezia. Jezia Manon Marie Khalfaoui. Depuis toute petite, c’est uniquement au prénom de Manon que je réponds. On m’appelait bébé, cela ne pouvait pas continuer, il a fallu choisir. Mon second prénom l’a emporté. Tous les jours, je ne suis donc pas exactement celle que je suis censée être. Et mon nom fait partie de cette identité voilée. Je porte malgré moi une identité, les marques d’une culture, la trace d’un passé qui n’est pas le mien.

Ma mère a rencontré tout d’abord mon père, un Tunisien. Enceinte de cet homme, ce dernier est retourné au pays et ma mère m’a donné naissance, sous la présence de mon beau père, également tunisien. Cet homme a imposé son nom sur mon livret de naissance, et par la force, m’a inscrite dans son histoire avant de nous faire vivre, à ma mère et à moi, un enfer.

Khalfaoui est le nom de famille de mon beau-père, ce n’est pas le mien. C’est le nom d’un homme tunisien que je n’aurais pas dû connaitre, c’est le nom et l’identité d’un homme qui me lie à un passé douloureux, c’est la marque d’une origine qui n’est pas la mienne. Mon vrai nom aurait dû être Vergnon, celui de ma mère, celle à qui je dois tout, celle à travers l’histoire de qui je me construis.

Je suis née à Marseille, je suis française, je m’appelle Manon. Et sans avoir bougé, sans avoir voyagé, sans avoir rien demandé, je grandis avec mon nom, avec l’émigration d’un homme qui est venu chercher ma mère et tout ce qui lui est lié.

Mais celle que je regarde aujourd’hui, et celle que j’ai toujours regardée, c’est ma mère. Je descends, du côté maternel, d’une famille française ayant vécu la deuxième guerre mondiale. Certains membres l’ont subie mais d’autres y ont activement participé en tant que soldats ou résistants ; notamment ma grand-mère Simone Garcin âgée de seize ans au début de la guerre et de ses frères, Jean et Claude. Mes deux grands oncles, Claude sous marinier à bord du sous-marin ‘le surcouf’ et Jean soldat de l’armée de Terre ont servi le pays en tant que soldats, et ma grand-mère Simone s’était engagée dans la résistance.

Mon grand-oncle Claude fit toute la guerre à bord du « Surcouf » qui rentra à la fin de la guerre sur le flanc droit dans la rade de Toulon car il avait été torpillé par les allemands.

Mon grand oncle Jean fut fait prisonnier de guerre et déporté à Dachau d’où il s’enfuit et rejoignit les résistants dans le maquis de Provence jusqu’à la fin de la guerre.

Mes arrières-grands parents, commerçants, ravitaillaient les résistants dans les collines de Marseille. Ma grand-mère fait alors des kilomètres vélo pour livrer vivres et munitions aux résistants du maquis, sous les yeux des soldats allemands. Les ouvriers étant pour la plupart au front, les allemands se présentèrent un jour chez mes grands-parents pour déporter mon arrière-grand père Auguste afin de l’envoyer travailler dans les camps, notamment dans les usines d’armement. Fragilisé par ses blessures aux jambes, celui-ci se vit remplacé par ma grand-mère Simone. Plusieurs fois pendant son transfert en Allemagne, elle tenta de s’enfuir et fut marquée au fer rouge sur l’épaule droite par les Allemands. Elle en a gardé la trace jusqu’à sa mort en 1992. Prisonnière de 1941 à 1944, ma grand-mère fut battue à coup de nerf de bœuf pour insubordination dans les camps de travail forcé de Leizig. Pendant le temps que dura sa déportation, elle permit à des enfants juifs et autres prisonniers de guerre de s’enfuir grâce à un réseau infiltré. Grâce à ce réseau, elle retrouva son premier mari également prisonnier à Leizig. Ils eurent l’occasion de se revoir de temps en temps et elle se retrouva enceinte. Libérée en septembre 1944, elle rentra à Marseille où naquit un mois plus tard son fils. Elle reprit ses activités de résistante jusqu’à la toute fin de la guerre.

Aujourd’hui, c’est cette histoire que je porte en moi, plus que celle de mon nom. Je suis fière des actions de ma grand-mère et je pense à son courage.

C’est le nom de ma mère que je voudrais porter, car il est le reflet de ce que je voudrais être, une héroïne comme les femmes de ma famille.

Mais mon nom est le résultat de l’émigration d’un homme qui m’a imposé son choix, son identité et sa culture. J’ai émigré quand j’étais bébé. J’ai émigré à ma naissance lorsqu’Il m’a déclarée. »

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