Je veux parler de lui, mon papa.
By Caroline | From : Marseille, France | School : College Jacques PrevertAprès de nombreuses séances de « Café Night » plutôt improductives, Mme Debauche m’a posé la question :
Pourquoi viens-tu au Café Night ?
Puis, une autre:
Qu’est-ce que le Café Night t’apporte ?
Je me suis donc éloignée de mon groupe, une feuille à la main, un stylo de l’autre, avant de m’installer à l’autre bout de la salle de classe et de commencer un récit répondant à ces questions.
Mon récit.
Pour être honnête, je ne sais pas pourquoi je vais au Café Night. Je n’ai pas vraiment de réponses exactes, ni précises.
Je veux parler de mes parents et de leurs histoires parce que ça m’a construit. Tout d’abord mon aspect physique comme vous le voyez je suis asiatique: les yeux marrons presque noirs en amande de mon père, les sourcils bien tracés de ma mère. Ensuite il y a mon caractère : têtue comme ma mère, et colérique comme mon père. Peut-être aurai-je été différente, s’il n’avait pas été ainsi. Enfin peu importe, aujourd’hui, je suis fière de mes origines et de ma culture. Fière d’être qui je suis : vietnamienne par mes origines, et française parce que je vis en France.
D’une certaine manière, le café Night m’apporte davantage de confiance en moi. En effet, pour dire vrai, vivre en France et être asiatique n’est pas toujours facile. Jusqu’à maintenant en tout cas, niveau moqueries, j’ai vraiment été servie. Mais je m’y suis faite à force. Aujourd’hui, je préfère en rire. Bref, un peu plus de confiance en moi ne serait pas de refus.
Quoiqu’il en soit, je suis très fière d’être qui je suis même si par pudeur, j’évite souvent de parler d’origine-familiale et tout ce qui va avec.
C’est la raison pour laquelle je me lance aujourd’hui. J’ai décidé de consacrer mon récit en partie à mon père et à son histoire. Tout simplement parce que je le considère comme le pilier premier de ma famille. Le début, le commencement, celui qui a fait le premier pas vers la France, le premier de TOUTE ma famille.
Je veux parler de lui, mon papa extraordinaire. Je veux parler de la guerre civile au Vietnam, cause de son départ à 18 ans. Je veux parler de sa première tentative de fuite raté, de son arrestation, de son année passée en prison, de son coma de deux semaines. Je veux parler de sa seconde tentative, réussie cette fois-ci, de son voyage du Vietnam en Malaisie où pendant 4 ans, il a attendu, dans un camp de réfugiés, qu’un pays accepte de le recevoir. Etats Unis d’Amérique, Canada, Hollande, Australie…tous refusèrent. Et finalement la France lui a souri. Je veux parler de tout cela, mais surtout de son long voyage de Malaisie vers la France. Pendant plusieurs mois, seul, avec pour bagage une sorte de cuve de cuisson remplie de riz sous le bras, il monte à bord d’une une sorte de barque, et traverse une mer après l’autre sans savoir quand ce périple se terminerait. Le temps passait, il ne savait plus, il avait perdu la notion du temps, il pensait mourir. C’est l’espoir qui l’a maintenu en vie, l’espoir de poser un jour, le pied en France. « Je ne pouvais que prier » me dit-il.
Aujourd’hui je pense aux Syriens, obligés de fuir leur pays pour rester en vie. L’histoire de mon père se répète et j’en suis témoin.
La culture que nous avons aujourd’hui dans ma famille n’est peut-être pas centre de discussion mais elle reste importante. Pourtant, aujourd’hui je m’aperçois que l’histoire familiale s’efface peu à peu des mémoires. Ce sont ces histoires qui font aujourd’hui toute notre richesse. Si la mémoire disparaît, cette richesse disparait aussi.
Je sais maintenant pourquoi je viens au Café Night. J’ai exploré et découvert en détail l’histoire de ma famille que je connaissais très mal. Je veux, en quelque sorte, la préserver et devenir à mon tour le garant de cette mémoire. Car l’histoire familiale, n’est pas ce qu’il y a de plus précieux dans une famille ? Une histoire unique, qui, une fois perdue, ne peut être récupérée?